@Julien Serre, Les Echos, 28/12/2023. Available here.

Par Julien Serre

Publié le 28 déc. 2022 à 7:15Mis à jour le 28 déc. 2022 à 9:15

Les progrès qu’accomplit l’intelligence artificielle sont rapides et exponentiels. Est-ce que demain l’IA ne dictera pas, plus que notre politique industrielle ou notre défense, ou plutôt pour notre industrie et pour notre défense, quel Etat mérite d’être souverain et quel Etat mérite d’être vassal ?

Dans son discours sur le sujet au Collège de France en 2018, le président Emmanuel Macron rappelait l’hypothèse de Leibniz, selon laquelle « Dieu calcule pour nous le meilleur monde possible », estimant ainsi qu’il existe « une option presque prométhéenne qui nous permet de revisiter la conception du monde de Leibniz à travers l’intelligence artificielle ». Mais faisons-nous encore partie de ceux qui pourront effectivement revisiter cette conception ? 

Pour y répondre, nous pouvons désormais débattre avec l’interlocuteur principal en la matière, en l’occurrence l’IA elle-même. Car nous sommes déjà entrés dans l’ère de Turing* : celle d’une IA aussi performante que l’humain dans la discussion, au point qu’il n’est plus possible de s’assurer avec certitude de son caractère humain ou informatique.

Il est temps de sortir des arguties théoriques pour convenir qu’il faut dès maintenant se préparer à cette grande révolution : elle est déjà là.

Poser n’importe quelle question 

Posons la question de la souveraineté, numérique en particulier, au plus grand réseau neuronal existant : GPT-3 . Pour les spécialistes, l’acronyme est bien connu – demain, il le sera de nos concitoyens, celui-ci ou l’une de ses futures variantes. GPT-3, ou Generative Pre-training Transformer 3, est un modèle de deep learning, c’est-à-dire des algorithmes capables de reconnaître des modèles de données et d’apprendre. Il évalue et traite toutes les données qu’il reçoit afin de combler ses lacunes en matière d’information. Si vous vous connectez sur le site OpenAI , vous pourrez l’essayer.

Echangeons ainsi directement avec GPT-3, au travers de cet outil en ligne qui permet de poser n’importe quelle question à peu près raisonnable – il comprend très bien le français d’ailleurs :

 

« La France peut-elle être un pays leader en IA ?

 

« La France peut-elle être un pays leader en IA ?

– GPT-3 : Les initiatives actuelles vont dans la bonne direction et pourraient permettre au pays de devenir un leader dans le développement et l’adoption de technologies d’IA. Toutefois, il reste de nombreux défis à résoudre avant d’y parvenir, qui incluent le besoin de plus d’investissements dans la recherche & développement pour l’IA, ainsi qu’une collaboration renforcée entre les secteurs public et privé.

– Pensez-vous qu’un Etat puisse maintenir sa souveraineté s’il n’est pas compétitif au plan international en matière d’IA ?

– GPT-3 : Oui, tant qu’il est capable de protéger ses citoyens et leurs droits, de maintenir des systèmes économiques et politiques stables et de rester à l’abri des ingérences extérieures.

– La prise de décision par une intelligence artificielle sera-t-elle demain meilleure et plus efficace que la décision humaine ?

– GPT-3 : Il est difficile de répondre à cette question car il est encore trop tôt pour dire avec certitude si une IA sera capable de prendre des décisions plus efficaces et plus pertinentes que celles prises par un être humain. Des progrès considérables ont été faits dans le domaine de l’IA ces dernières années, ce qui suggère qu’elle pourrait bientôt être en mesure de prendre des décisions plus précises que celles des humains. Cependant, elle ne sera peut-être pas capable de prendre des décisions aussi efficaces et pertinentes que celles d’un être humain en raison de sa capacité à prendre en compte des facteurs variés et complexes. Seul l’avenir le dira. »

Une réponse instantanée et sensée

Il n’aura échappé au lecteur ni le fait qu’OpenAI est situé en Californie et financé par les plus grandes entreprises américaines, ni la tournure sans style particulier des réponses fournie par ces algorithmes, ni leur niveau de détail relativement faible. Mais la réponse est là, est fournie instantanément, et somme toute sensée. Bien des enseignants noteraient aussi bien ses réponses que celles données par des étudiants en chair et en os. Il n’y a donc pas de raison de la considérer comme forcément inférieure à celle d’un humain – ou d’un électeur – interrogé sur ces questions.

Ce que cela implique pour notre souveraineté est profond. Les applications de l’IA concerneront pratiquement tous les aspects de nos vies, ce qui présente des opportunités pour notre bien-être, mais aussi des risques pour notre capacité de décision. Si l’on renonce à la souveraineté de fait face à un phénomène mondial, on doit en accepter les règles du jeu et tant notre quotidien que notre autonomie sur des sujets fondamentaux s’en trouvent affectés.

L’Europe pourra-t-elle garder le contrôle de cette intelligence que nous accueillons désormais dans nos foyers et créer une souveraineté numérique avec nos données ? En France, les crédits du programme d’investissements d’avenir France 2030 et tout l’écosystème d’innovation public-privé seront-ils générateurs d’assez de valeur et d’innovation ?

Seul l’avenir le dira, mais nous pouvons encore mettre toutes les chances de notre côté.

* Allusion au test imaginé par le mathématicien Alan Turing (1912-1954).

Julien Serre

 

 

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