De la veille à la feuille de route : comment structurer une démarche prospective utile aux COMEX

9/11/2023 – @R&D @Whaydon

Dans les grandes entreprises industrielles françaises — qu’elles opèrent dans l’énergie, les infrastructures, l’aéronautique ou la défense — la prospective reste souvent cantonnée à la veille : un flux d’informations commentées, un radar de tendances, une bibliothèque de signaux faibles. C’est utile. Mais insuffisant.

Face aux bouleversements géopolitiques, aux tensions d’approvisionnement, à l’émergence d’IA impressionnantes en 2023 ou aux transformations climatiques, le temps est venu de passer à une prospective de décision : celle qui ne se contente pas d’observer le monde, mais qui outille les COMEX pour arbitrer, orienter, investir, désinvestir.

Le passage de la veille à la feuille de route nécessite un changement profond de posture :

  1. Choisir ses incertitudes critiques. Il ne s’agit pas de tout suivre, mais de déterminer les 3 à 5 variables systémiques qui conditionneront le cœur du modèle économique à horizon 5 ans. Pourquoi pas 10 ans ? Parce que c’est déjà trop loin au vu des transformations en cours.
  2. Croiser expertises internes et angles externes. Les ingénieurs savent ce qui est faisable. Je l’ai vu à la Banque européenne d’investissement aussi bien que dans des entreprises privées. Les prospectivistes quant à eux challengent ce qui est pensable. Enfin les stratèges en entreprise arbitrent ce qui est soutenable. Le futur se co-construit dans cette triangulation. Les discussions animées sont inévitables, et mieux, elles sont souhaitables.
  3. Articuler les scénarios à des options stratégiques concrètes. Un scénario pour 2024-2025 sans levier d’action est un roman. Ce qui compte, c’est de pouvoir dire : si le scénario X se confirme, alors nous ferons A, B ou C. Cela suppose des matrices de décision partagées, des “no-regret moves”, et des paris assumés. Il faudra ausi savoir abandonner un « dead horse ».
  4. Créer un lien organique avec les décisions COMEX. La prospective ne doit pas être une production parallèle. Elle doit infuser les décisions d’investissement, les feuilles de route technologiques, les trajectoires RH. Elle devient alors un actif politique et managérial. Cela vaut pour une entreprise du CAC40 aussi bien que pour une institution de coopération internationale.

Dans mes travaux récents sur les transformations industrielles (notamment dans les secteurs critiques ou régulés), j’ai pu constater qu’une prospective efficace ne dépend pas uniquement du budget, ni des outils, mais du niveau de confiance stratégique accordé à l’exercice. Lorsqu’elle est portée au plus haut niveau, avec exigence, elle redevient ce qu’elle doit être : un levier d’avance.

La bonne prospective n’est pas celle qui rassure, mais celle qui permet d’agir avant les autres.