Par Julien Serre Publié dans LES ECHOS le 14 nov. 2023 à 10:30

Reconstruire Gaza. Personne n’en parle en ces heures sombres. Il y a trop de morts. Il est trop tôt. Le temps est au retour des otages Israéliens, à la défaite des terroristes du Hamas, au respect du droit international humanitaire et à la protection des civils, à une trêve suffisante pour permettre à l’aide d’atteindre les populations.

Pourquoi évoquer la reconstruction maintenant ? Parce qu’elle devra être entamée des que la situation se sera stabilisée, afin que les civils dont les conditions de vie sont insupportables retrouvent espoir. Parce qu’une reconstruction des infrastructures, loin d’être le résultat d’un futur processus de négociation entre Israël et les Palestiniens, en sera un préalable. Pour y parvenir, l’Union européenne peut jouer un rôle moteur en apportant plusieurs appuis sous l’angle de la reconstruction.

Un appui à la sécurité. La question de la sécurité d’Israël demeurera cruciale et l’Europe peut l’aider en mobilisant ses compétences pour tarir les financements internationaux du terrorisme. L’actualité géopolitique justifie d’ailleurs que la future agence européenne de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment soit implantée en France plutôt qu’au Luxembourg. Ensuite, une fois les infrastructures militaires du Hamas détruites, un retrait israélien s’imposera; une capacité internationale de maintien et de consolidation de la paix pourrait alors être établie – les Américains y pensent déjà, les Français aussi. Si l’engagement de troupes européennes est peu probable, à l’inverse un appui capacitaire est possible : plusieurs agences européennes ont acquis une solide expérience de mise en œuvre des projets sécuritaires associant étroitement des éléments d’assistance technique à la construction d’infrastructures.

Un appui à la sécurité humaine. Les besoins immédiats d’infrastructures de base sont évidents: systèmes de désalinisation, approvisionnement en eau et retraitement, avec la fourniture en électricité que cela exige, redémarrage urgent des centres d’éducation et de soins ainsi que des administrations, et sécurisation des frontières.

L’UE peut jouer un rôle moteur en apportant plusieurs appuis sous l’angle de la reconstruction.

Ces besoins incarnent le concept de « sécurité humaine » que défend l’Assemblée générale des Nations unies depuis une résolution de 2012. Entendue comme « le droit des êtres humains de vivre libres et dans la dignité, à l’abri de la pauvreté et du désespoir », la sécurité humaine fait partie de la doctrine européenne depuis 2003.

Un appui au continuum de mise en œuvre des projets de reconstruction. L’Europe et la France disposent des acteurs capables d’assurer leur conception et leur financement, avec les plus strictes procédures: la Banque européenne d’investissement et les grandes agences bilatérales dont le groupe de l’Agence française de développement (AFD). Leur rigueur sera essentielle au bon usage des ressources et à leur absorption dans des économies très affaiblies. Elles doivent dès maintenant se préparer et s’entourer d’experts ayant travaillé dans les contextes fragiles et post-conflit.

Un appui au système multilatéral. Les valeurs portées par la Charte des Nations unies sont aussi celles de l’Europe, qui a intérêt à revitaliser l’organisation. Avec son expérience de missions de maintien de la paix dites « intégrées», l’ONU peut faciliter une réponse holistique, établie avec les autorités nationales, pour l’appui humanitaire, la sécurité, la reconstruction et le processus politique – à condition de disposer du mandat et des moyens nécessaires. La France saura-t-elle emmener le reste du Conseil de sécurité ? Si cela est peu probable, au moins l’Europe pourrait-elle parler d’une seule voix.

A l’ouverture de la dernière Assemblée générale des Nations unies, le président du Conseil européen, Charles Mi-chel, a proposé la tenue d’un « sommet institutionnel » pour repenser le multi-latéralisme. L’actualité impose de l’adapter : une réflexion commune établissant les bases d’une future reconstruction à Gaza qui accompagnerait le retour des familles déplacées, voila qui apporterait à cet événement la réalité qu’il ambitionne de porter.

Une stratégie politique sera nécessaire pour sortir de ce conflit. Elle ne fera pas l’économie d’un ambitieux effort de reconstruction, sinon la défiance s’an-crera encore un peu plus profondément dans le cœur de ceux qui ont perdu des proches, et la prochaine génération s’affrontera encore.

Julien Serre est CEO de Whaydon et chargé d’enseignement à Sciences Po et à l’Essec.